1.
— Dites donc, vous, la Tortillard! mêlez-vous un peu de vos affaires
2.
«Et le Tortillard, qui, lorsqu'il me rencontrait portant le bon Dieu, filait son chemin, la barrette sur la tête et la pipe au bec
3.
– Tu as raison ; il est fin comme renard, ce petit Tortillard ; il n’a pas dix ans, et c’est lui qui l’autre jour
4.
Un pantalon marron et une blouse sanglée d’une ceinture de cuir, complétaient le costume de Tortillard, ainsi nommé à cause de son infirmité ; il se tenait à côté de son père, debout sur sa bonne jambe, comme un héron au bord d’un marais
5.
– Ça me gênerait, mon homme, répondit la vieille, qui disparut bientôt avec Tortillard au milieu des vapeurs amoncelées par le crépuscule, et des tristes murmures du vent qui agitait les branches noires et dépouillées des grands ormes des Champs-Élysées
6.
Bras-Rouge se retira discrètement sans demander des nouvelles de Tortillard, qu’il ne s’attendait probablement pas à revoir encore
7.
– Je suis arrivée au n° 17 en laissant Tortillard blotti dans un trou et aux aguets
8.
Finalement, quand je vois débouler la Chouette et Tortillard, je me dis : « Bon, ça va chauffer ! » En effet, Tortillard se blottit dans un des fossés de l’allée, en face de votre porte, comme s’il se mettait à l’abri de l’ondée, et il fait la taupe
9.
Enfin elle ressort, remet son bonnet, dit deux mots à Tortillard, qui rentre dans son trou ; et elle détale
10.
Tortillard est venu avec la Chouette ; le Maître d’école et M
11.
Oui, mais cette petite vermine de Tortillard est près de la porte, il m’entendra sonner, il me verra, il donnera l’éveil à la Chouette ; si elle revient
12.
il me conseille, j’ôte ma blouse et ma cravate, je vas au fossé de Tortillard, je prends le moutard par la peau du dos ; il a beau gigoter, m’égratigner et piailler
13.
je l’entortille dans ma blouse comme dans un sac, j’en noue un bout avec les manches, l’autre avec ma cravate, il pouvait respirer ; je prends le paquet sous mon bras, je vois près de là un jardin maraîcher entouré d’un petit mur ; je jette Tortillard au milieu d’un plant de carottes ; il grognait sourd comme un cochon de lait, mais à deux pas on ne l’entendait pas
14.
Je file, il était temps ! Je grimpe sur un des grands arbres de l’allée, juste en face votre porte, au-dessus du fossé de Tortillard
15.
J’écoute : c’était la Chouette : « Tortillard
16.
Oui, cherche ton Tortillard ! « Il pleut, le môme se sera lassé d’attendre, dit le Maître d’école, en jurant
17.
En passant, je veux prendre Tortillard dans sa planche de carottes ; c’était mon chemin
18.
Le petit Tortillard avait été chercher un fiacre, où elle vient de monter
19.
« Ainsi, pensa Rodolphe, le nom et l’adresse de cette femme seront peut-être connus de ce charlatan, dans le cas où il aurait ordonné à Tortillard de suivre l’inconnue
20.
Il n’avait aucune raison de s’intéresser à Mme de Lucenay, mais il ne put s’empêcher de frémir en songeant que si elle avait réellement rendu visite au charlatan, ce misérable, qui n’était autre que l’abbé Polidori, possédait le nom de cette femme, qu’il avait fait suivre par Tortillard, et qu’il pouvait affreusement abuser du terrible secret qui mettait la duchesse dans sa dépendance
21.
Il vit descendre en se hâtant et en boitant le petit Tortillard ; il tenait à la main la bourse de soie rouge que Rodolphe venait de donner à Mme d’Harville
22.
Ne comprenant pas comment Tortillard avait cette bourse en sa possession, mais un peu rassuré, Rodolphe dit à M
23.
– Allons, môme, couche-toi sur les arpions de mon homme, tu lui tiendras chaud, dit la borgnesse à Tortillard, qui s’accroupit comme un chien entre les jambes du Maître d’école et de la Chouette
24.
Deux heures après, à la tombée du jour, ce fiacre, renfermant le Maître d’école, la Chouette et Tortillard, s’arrêta devant une croix de bois marquant l’embranchement d’un chemin creux et désert qui conduisait à la ferme de Bouqueval, où se trouvait la Goualeuse, sous la protection de Mme Georges
25.
Quelques minutes après, le prêtre et la Goualeuse arrivèrent auprès du chemin creux où étaient embusqués le Maître d’école, la Chouette et Tortillard
26.
La Chouette, le Maître d’école et Tortillard, tapis dans une des anfractuosités de ce chemin, virent le prêtre et Fleur-de-Marie descendre dans la ravine et en sortir par une pente escarpée
27.
– Bien sûr que d’ici on voit les bâtiments tout proche, dit Tortillard
28.
Quand Tortillard t’aura amené la petite au milieu de la ravine, cesse de geindre et saute dessus, une main autour de son colas(3), et l’autre dans sa bavarde pour lui arquepincer le chiffon rouge(4) et l’empêcher de crier
29.
Pendant que tu tiendras ferme la petite, Tortillard accourra me chercher ; à nous trois, nous embaluchonnons la jeune fille dans mon manteau, nous la portons à la voiture de Barbillon, et de là plaine Saint-Denis, où l’homme en deuil nous attend
30.
C’est égal, reprit philosophiquement Tortillard, je savais le nom du joli monsieur à moustaches noires, qui venait chez mon maître chercher de la mort-aux-rats pour les hommes ; il s’appelle le vicomte de Saint-Remy, my, my, Saint-Remy, ajouta le fils de Bras-Rouge en fredonnant ces derniers mots, selon son habitude
31.
– Vieille loque ! Je lui conseille de faire la dégoûtée, dit la Chouette en prenant un air révolté dont Tortillard fut dupe, repousser un amour d’enfant comme celui-là !
32.
Et la borgnesse embrassa de nouveau Tortillard avec une affection grotesque
33.
Il m’a ôté la vue, mais il ne m’a pas ôté la pensée du mal ; je serai la tête, Tortillard les yeux, et toi la main, la Chouette ; tu m’aideras, hein ?
34.
Tortillard, autant pour se venger que pour venger la Chouette, ramassa une pierre, visa le Maître d’école et l’atteignit au front
35.
Car, excepté pour tenir la petite pendant que nous l’embaluchonnerons avec Tortillard, tu me serviras comme une cinquième roue à un omnibus
36.
Dis donc, fourline, quelle farce si nous deux Tortillard, nous nous esbignions avec la voiture, et que nous te laissions là, au milieu des champs, par cette nuit où le froid va pincer dur ! C’est ça qui serait drôle, hein, brigand ?
37.
– Eh bien ! je l’avouerai, dit sourdement le Maître d’école ; voyons, j’ai eu tort de te soupçonner, j’ai eu tort aussi de vouloir battre Tortillard : je t’en demande pardon, entends-tu
38.
et à toi aussi, Tortillard
39.
Tortillard, vêtu de sa blouse à ceinture de cuir, debout sur un pied, s’appuyait au bras de la Chouette pour se maintenir en équilibre
40.
répéta le Maître d’école, effrayé du silence de la Chouette et de Tortillard, qui jouissaient de son effroi
41.
« Il faudra que je fasse ça à un chien que je connais et qui m’a mordu », se dit Tortillard
42.
– Oui, la porte est ouverte, file sans yeux, et toujours tout droit ! dit Tortillard en éclatant de rire
43.
N’est-ce pas Tortillard ?
44.
Tortillard, posté en vedette, guettait le retour de Fleur-de-Marie, qu’il devait attirer dans ce guet-apens en la suppliant de venir à son aide pour secourir une pauvre vieille femme
45.
La Goualeuse n’étant plus seule, tout étant manqué, Tortillard se hâta de redescendre dans le ravin et de courir avertir la Chouette
46.
J’ai reconnu la voix d’une femme, dit Tortillard ; tenez
47.
et Tortillard est trop faible pour amortir cette camarade que le diable étrangle ! Comment faire ? répéta la Chouette
48.
– Elles approchent, reprit Tortillard en prêtant de nouveau l’oreille au bruit de pas lointains, elles vont descendre dans le ravin
49.
Ton couteau ! ton couteau, fourline ! Je tuerai la camarade pour qu’elle ne nous gêne pas ; quant à la petite, nous deux, Tortillard et moi, nous viendrons bien à bout de la bâillonner
50.
, répéta tout bas la Chouette, sans faire attention aux supplications de Tortillard et en se déchaussant à la hâte
51.
– Tortillard va me conduire à la ferme où demeure cette fille ; il dira que nous sommes égarés, que je suis son père, un pauvre ouvrier mécanicien, aveuglé par accident ; que nous allions à Louvres, chez un de nos parents qui pouvait nous donner quelques secours, et que nous nous sommes perdus dans les champs en voulant couper au court
52.
Tortillard examinera bien les portes, les fenêtres, les issues de la maison : il y a toujours de l’argent chez ces gens-là à l’approche des fermages
53.
Ainsi je resterai à la ferme une partie de la journée, pour que Tortillard ait encore le temps de tout bien examiner
54.
Moi et Tortillard nous suivrons la jeune fille de loin, nous reviendrons l’attendre ici en dehors du ravin
55.
nous deux Tortillard
56.
– Connu, connu ! répondit Tortillard
57.
Je t’aime comme si je t’avais eu de feu le grand Napoléon ! dit la Chouette en embrassant Tortillard, qui fut immodérément flatté de cette comparaison impériale
58.
Le Maître d’école et Tortillard sortirent du chemin creux et se dirigèrent du côté de la ferme ; la lumière qui brillait à travers les fenêtres leur servait de guide
59.
La porte de la cuisine s’ouvrit brusquement : le Maître d’école et Tortillard entrèrent avec précipitation, comme s’ils eussent été poursuivis
60.
Le Maître d’école et Tortillard restaient à la porte de la cuisine, n’osant pas avancer
61.
Enveloppé d’un manteau bleu à collet de fourrure, son chapeau enfoncé sur le bonnet noir qui lui cachait presque entièrement le front, le brigand tenait la main de Tortillard, qui se pressait contre lui en regardant les paysans avec défiance ; l’honnêteté de ces physionomies déroutait et effrayait presque le fils de Bras-Rouge
62.
Cette impression n’échappa pas à Tortillard ; la frayeur des paysans le rassura, et il fut fier de l’épouvante qu’inspirait son compagnon
63.
Tortillard, sceptique, effronté comme un enfant de Paris, corrompu pour ainsi dire à la mamelle, resta seul indifférent à l’effet moral de cette scène
64.
Tortillard lui préparait ses morceaux, lui coupait son pain, lui versait à boire avec une attention toute filiale
65.
Autant par cruauté que par l’esprit d’imitation naturel à son âge, Tortillard trouvait une jouissance cruelle à tourmenter le Maître d’école, à l’exemple de la Chouette, qu’il était fier de copier ainsi, et qu’il aimait avec une sorte de dévouement
66.
Tortillard, assis à la table des laboureurs, eut la méchanceté de vouloir raffiner son plaisir en forçant le Maître d’école à supporter ses mauvais traitements sans sourciller
67.
– Tiens, pauvre papa, voilà une noix tout épluchée, dit Tortillard en mettant dans l’assiette du Maître d’école un de ces fruits soigneusement détaché de sa coque
68.
Mais, réfléchissant aussitôt qu’il ne pouvait se passer de Tortillard, le Maître d’école se contraignit et le repoussa sur sa chaise
69.
Dans tout ceci les paysans ne virent qu’un échange de tendresses paternelles et filiales : la pâleur et la suffocation de Tortillard leur parurent causées par l’émotion de ce bon fils
70.
– Pauvre papa ! dit Tortillard, remis de son émotion et jetant un regard diabolique sur le Maître d’école, pauvre papa ! C’est pourtant vrai, mes bons messieurs, on n’a jamais pu le guérir de sa jambe
71.
à ton pauvre estomac, ajouta Tortillard en mettant le verre dans les mains de l’aveugle
72.
Cette espérance trouva peu d’écho chez Tortillard, qui ne se sentait nullement disposé à profiter des offres du vieux laboureur et à grandir dans le bien sous les auspices d’un vénérable curé
73.
Tortillard donna en ce moment et sournoisement un vigoureux coup de pied au Maître d’école et l’atteignit au bon endroit
74.
Barbillon, cités par Tortillard, n’éveillassent les soupçons ; mais à cet endroit ses craintes furent vaines ; Jean-René seul y vit le texte d’une plaisanterie faite à voix basse et très mal accueillie par Claudine
75.
– C’est bien, c’est bien, dit le Maître d’école en interrompant Tortillard, ça ne m’empêchera pas, en tout cas, de parler demain matin à la bonne dame d’ici
76.
et d’implorer son appui auprès du respectable propriétaire de cette ferme ; mais, ajouta-t-il pour changer de conversation et mettre un terme aux imprudents propos de Tortillard, mais, à propos du propriétaire de cette ferme, on m’avait promis de me dire ce qu’il y a de particulier dans l’organisation de la métairie où nous sommes
77.
À peine remis de sa stupeur, le brigand se leva de table, prit la main de Tortillard et s’écria d’un air égaré :
78.
Tortillard saisit adroitement cet à-propos, poussa un long soupir, et, mettant son index sur son front, il donna ainsi à entendre aux laboureurs que la raison de son prétendu père n’était pas fort saine
79.
Tortillard, absolument décidé à ne pas quitter un bon gîte pour courir les champs par cette froidure, dit d’une voix dolente :
80.
Mais le brigand ne pouvait quitter la ferme ; il se trouvait à la merci de Tortillard
81.
– Voyons, reprit le père Châtelain en s’adressant au brigand et à Tortillard, venez, mon brave homme, et toi, suis-moi, mon petit enfant, ajouta-t-il en prenant un flambeau
82.
Le brigand alla s’asseoir, sombre et pensif, sur le bord du lit auprès duquel il fut conduit par Tortillard
83.
Tortillard, en rentrant dans la chambre qu’il occupait avec le Maître d’école, se garda bien de s’approcher de lui
84.
nous sommes donc bien gai, que nous jouons à colin-maillard avec notre petit enfant chéri ? dit Tortillard en ricanant et en échappant le plus facilement du monde aux poursuites du Maître d’école
85.
– Je vous vois venir, dit Tortillard ; je vas vous faire faire le beau sur vos pattes de derrière, comme un chien à qui on montre un os
86.
vieux monstre ! reprit Tortillard avec une expression de mépris, de colère et d’horreur qui, pour la première fois de la journée, rendit sérieuse sa figure de fouine, jusqu’alors railleuse et effrontée
87.
Il s’approcha pieds nus, et sans être entendu, du Maître d’école, qui, assis sur son lit, tenait toujours son grand couteau à la main ; puis, avec une adresse et une prestesse merveilleuses, Tortillard lui enleva cette arme et fut d’un bond à l’autre bout de la chambre
88.
– Ah ! ah ! ah ! s’écria Tortillard en éclatant de rire de nouveau ; si on ne t’avait pas soufflé ta chandelle
89.
– Connu, vieux ! dit Tortillard ; c’est une frime pour me faire venir auprès de toi et pour me ficher une ratapiole
90.
Mme d’Harville gravissait rapidement l’escalier, tenant la bourse à la main, lorsque Tortillard, descendant de chez le charlatan, guigna la bourse de l’œil, fit semblant de tomber en passant auprès de la marquise, la heurta et, dans le choc, lui enleva subtilement la bourse
91.
Après avoir compté et recompté son or, Tortillard, n’entendant plus aucun bruit dans la ferme, alla pieds nus, l’oreille au guet, abritant sa lumière dans sa main, prendre des empreintes de quatre portes qui ouvraient sur le corridor, prêt à dire, si on le surprenait hors de sa chambre, qu’il allait chercher du secours pour son père
92.
Peu d’instants après, la Goualeuse sortait de la ferme afin de se rendre au presbytère par le chemin creux où la veille le Maître d’école et Tortillard étaient convenus de se retrouver
93.
Prends patience, je t’amène du secours ! cria Tortillard pour prévenir le Maître d’école et la Chouette de se tenir prêts à saisir leur victime
94.
Dans ce cavalier, d’une figure brune et charmante, Tortillard reconnut M
95.
Puis, sautant sur la Goualeuse, la borgnesse la saisit au cou d’une main, et de l’autre lui comprima les lèvres, pendant que Tortillard, se jetant aux pieds de la jeune fille, se cramponnait à ses jambes pour l’empêcher de faire un pas
96.
Malheureusement Rodolphe ignorait que Tortillard s’était emparé de cette bourse, et l’on sait comment le petit boiteux avait commis ce vol audacieux
97.
À travers la porte laissée entrebâillée, on vit apparaître la figure méchante, attentive et rusée de Tortillard, qui, ayant suivi ces inconnus à leur insu, regardait, épiait, écoutait
98.
Tortillard, toujours aux écoutes et aux aguets, retint les paroles de Madeleine, remarqua le mouvement de l’artisan et se dit :
99.
– Bon, dit Tortillard, qui était toujours resté auprès de la porte entrebâillée, bon, bon, la Chouette saura ça
100.
Tortillard, de peur d’être surpris, avait disparu dans l’escalier au moment où les gardes du commerce sortaient de la mansarde